Un retour sur la fabuleuse carrière de la Dre Vicki Harber au profit du système sportif canadien

La Dre Vicki Harber ne mâche pas ses mots.

Cette ancienne rameuse olympique et endocrinologue de la reproduction chez les athlètes féminines a travaillé au sein de la communauté sportive nationale du Canada pendant une grande partie de sa carrière, avec un intérêt particulier pour le multisport et l’athlétisme chez les femmes. Pendant des décennies, elle a prôné très activement la mise en œuvre du modèle du développement à long terme par le sport et l’activité physique au sein des organisations sportives, et elle est reconnue pour avoir écrit The Female Athlete Perspective. Si elle est là où elle est aujourd’hui, c’est parce qu’elle n’a pas la langue dans sa poche, et elle n’hésite pas à dire aux gens comment, selon elle, le système ne répond pas aux besoins des athlètes.

« Actuellement, le système est trop axé sur la notion de gagnant et de perdant, au lieu d’être axé sur l’aspect humain et le développement responsable. J’ai toujours voulu reproduire ce que le sport a fait pour moi quand j’étais enfant, parce le sport a vraiment sauvé ma peau. Venant d’une famille dysfonctionnelle, le sport m’a procuré toutes ces choses qu’une cellule familiale traditionnelle est censée fournir, mais que moi, je n’ai jamais eues », a déclaré Vicky Harber à Le sport c’est pour la vie.

« Je crois sincèrement que sans le sport, j’aurai fait de la prison plus d’une fois. »

Une enfant-vedette du multisport

L’intérêt de Vicky Harber pour l’exercice physique s’est manifesté pour la première fois lors d’une session de lutte contre ses trois frères aînés, à Ottawa, où ils ont tous grandi. Ses frères étaient des athlètes et l’un d’eux se préparait même à intégrer la Ligue canadienne de football. Elle était très compétitive dans les activités telles que les courses de sac de pommes de terre, et elle a commencé à développer une passion pour l’utilisation de son corps et les mouvements que ce dernier peut accomplir. Cela l’a amenée à intégrer une équipe de volleyball au secondaire, puis une équipe de basketball à l’université, avant de trouver son sport de prédilection, l’aviron, alors qu’elle poursuivait ses études universitaires. C’est en 1979 qu’elle tente sa chance pour devenir une athlète olympique.

« J’ai participé à quelques essais et j’ai réussi à faire mes preuves ; j’ai été invitée au camp de sélection olympique en janvier 1980. Ayant pris une rame dans les mains pour la première fois en 1979, les gens pensaient que j’avais perdu la tête, mais j’ai travaillé dur et j’ai été sélectionnée dans l’équipe olympique de 1980 », a-t-elle déclaré, avant de rajouter que le Canada a malheureusement boycotté la compétition.

Avec le recul, elle se dit qu’elle aurait pu être une figure emblématique du multisport lorsqu’elle était plus jeune, une sorte d’enfant-vedette, ce qu’elle a d’ailleurs été tout au long de sa carrière. Malheureusement, le changement culturel à grande échelle nécessaire pour soutenir un système multisport adéquat au Canada ne s’est jamais matérialisé. Elle a plutôt l’impression que le Canada a fait un pas en arrière à cet égard.

« Bien que de nos jours, beaucoup de gens reconnaissent et comprennent que le multisport est une bonne chose, notre système ne dispose pas de l’infrastructure nécessaire. Les écoles ne soutiennent plus le sport en dehors de leurs murs, toutes sortes de barrières systémiques rendent la pratique du sport particulièrement difficile, voire impossible », a-t-elle déclaré.

« Cela me brise le cœur de voir à quel point le milieu sportif a laissé tomber ses communautés et ses citoyens. »

Se jeter à l’eau

Après le boycottage des Jeux olympiques, Vicky Harber est devenue enseignante à temps partiel à l’Université McMaster et a poursuivi son entraînement avec son équipe d’aviron à Saint Catharines. Elle a commencé sa maîtrise ès sciences (MSc) en 1981, ce qui signifie que les trois années suivantes ont été une succession d’études, d’entraînements et de compétitions internationales. En 1984, elle participe aux Jeux olympiques et ce moment constitue l’apogée de sa carrière sportive et un événement extrêmement enrichissant.

Ramer pour le Canada tout en faisant sa maîtrise puis son doctorat est une situation que Vicky Harber a particulièrement appréciée. Ses recherches portaient sur l’endocrinologie de la reproduction, plus particulièrement chez les athlètes féminines. Elle a obtenu ses diplômes universitaires tout en ayant l’opportunité de satisfaire son désir de comprendre ce qui se passe chez les athlètes féminines de haut niveau. Elle est d’accord sur le fait qu’il existerait un parallèle entre le sujet d’une recherche et la quête personnelle, car les deux découlent d’un désir d’en savoir plus sur soi-même.

« La chose la plus difficile pour moi a toujours été de trouver où je peux être réellement utile. La ligne directrice et la passion qui m’ont guidée tout au long de ma vie, et j’ai été enseignante au secondaire avant de devenir professeur d’université, c’est cette idée que ma soif d’apprendre n’a de valeur que si je peux transmettre mes connaissances aux autres. De pouvoir les stimuler et leur permettre d’apprendre et d’en profiter au maximum », a-t-elle ajouté.

Elle a commencé à travailler à l’université d’Alberta en 1991, tout en poursuivant ses recherches sur les athlètes féminines. Parallèlement, elle a acquis une expérience directe dans le développement des habiletés sportives de jeunes filles lorsqu’elle est devenue l’entraîneuse de soccer de ses enfants. Pendant cette période, elle s’est associée à Steve Norris, un universitaire qui travaillait dans le domaine du multisport intentionnel. C’est grâce à cette rencontre qu’elle entendit parler pour la première fois de Le sport c’est pour la vie, en 2005. En effet, son collègue l’a invitée à contribuer aux travaux menés par des spécialistes en science du sport tels que Istvan Balyi, le Dr Colin Higgs et Richard Way.

« Steve m’a dit que l’organisme canadien Le sport c’est pour la vie aimerait bien connaître mon point de vue sur les athlètes féminines, et c’est ainsi que j’ai plongé tête première dans l’écriture de . C’était un peu comme passer une audition ; ils voulaient savoir quel genre de personne j’étais afin de décider si je pouvais faire partie de leur équipe. Et ils semblaient agir de connivences, tous, à comploter contre moi », dit-elle.

Ils ont fini par l’accueillir dans l’équipe, ce qui a marqué le début d’une nouvelle ère dans sa vie. Sans plus attendre, elle a commencé à travailler directement auprès d’organisations sportives nationales, provinciales et locales afin de développer des ressources d’apprentissage et des ateliers de formation.

« Ce fut un défi incroyable et j’étais encore à l’université. » J’aime apprendre et transmettre mon savoir aux autres ; travailler avec Le sport c’est pour la vie est devenu le prétexte parfait pour apprendre des choses pragmatiques et pratiques et interagir avec les entraîneurs, les conseils d’administration, les administrateurs, et les aider à revoir leur façon de gérer le sport et le développement des athlètes. »

Le sport pour les femmes canadiennes

 Lorsque The Female Athlete Perspective a été publié pour la première fois sur le site web de Le sport c’est pour la vie en 2008, Vicky Harber ne savait pas si son livre allait être bien accueilli. Elle craignait que personne ne le lise et ne s’y intéresse vraiment. Mais les courriels ont commencé à affluer ; les organisations sportives dans tout le pays voulaient en savoir davantage. En très peu de temps, l’article avait été partagé dans le monde entier et traduit en sept langues autres que l’anglais et le français. Elle avait de la difficulté à y croire.

« Écrire sur “les croyances” au sujet des filles et les femmes dans le sport et fournir quelques recommandations pratiques à ceux qui travaillent dans le domaine a été un réel plaisir pour moi. Vulgariser la science et faire en sorte qu’elle soit facile à comprendre et à appliquer est devenu un objectif constant pour moi dans tous mes travaux », a-t-elle déclaré.

« Cet article a permis de créer plusieurs connexions entre les personnes au sein de l’écosystème sportif canadien, notamment les clubs sportifs, les organismes provinciaux/territoriaux de sport, les organismes nationaux de sport et les secteurs de l’éducation et des loisirs. Cela m’a aidé dans la mise en place d’un atelier destiné aux personnes travaillant avec les filles et les femmes dans le domaine du sport. »

À partir de ce moment, Vicky Harber est passée aux choses sérieuses concernant son travail avec les organisations sportives. Elle se rappelle une expérience particulièrement mémorable lorsqu’elle a aidé Natation Canada à mettre à jour sa matrice de développement des athlètes. Ils lui avaient demandé son avis sur les compétences mentales et les compétences pour la vie.

« J’ai été impressionné par la volonté de l’organisation d’apprendre et d’explorer de nouvelles façons d’envisager la croissance, le développement et la maturation de l’athlète. Natation Canada a parfaitement compris l’importance fondamentale des fonctions exécutives et de l’apprentissage socioémotionnel chez l’athlète. Elles constituent la pierre angulaire de la santé et de la réussite de l’athlète, et ce, pour la vie, allant bien au-delà de la performance sportive. »

Vicky Harber a entretenu une relation de travail harmonieuse avec Natation Canada, et elle était heureuse de constater que leurs visions étaient alignées dans des domaines tels que la mise en œuvre de la Stratégie de développement à long terme, l’importance des entraîneurs et la nécessité de nouer de solides relations interpersonnelles au sein de la communauté de nageurs pour que tout se déroule harmonieusement.

« De plus, Natation Canada a partagé ses propres ressources avec des organisations d’autres disciplines désireuses d’en savoir plus sur ce qu’ils avaient créé. C’est incroyablement généreux. Le simple fait de penser à ce projet me donne des frissons. »

Un système conçu pour tous

Au cours de sa carrière, Vicky Harber a vu défiler différentes tendances sociales. Mais certains idéaux de base restent des objectifs universels, notamment l’égalité des sexes, le sport sécuritaire et l’inclusion. Puisque ses recherches portent sur les athlètes féminines, elle est parfaitement consciente de la façon dont le système actuel ne répond pas à certaines de ses normes plus ambitieuses. Dans de nombreux cas, les organisations sportives disposent des ressources appropriées, mais elles ne les utilisent tout simplement pas.

« Il est facile d’échouer dans l’étape de la mise en œuvre. Peu importe le projet qu’on met en œuvre, que ce soit dans le domaine du sport, des affaires ou de l’enseignement, ce n’est pas une tâche facile ; cela nécessite une grande quantité de temps et d’effort ainsi que de beaucoup de détermination à bien comprendre les mesures à court et à long terme. Il y a plusieurs niveaux. Le système canadien et des organisations telles que Sport Canada, À nous le podium, l’Association canadiennes des entraîneurs n’excellent pas ce domaine », a-t-elle déclaré.

« Et ce n’est pas à cause d’un manque de volonté ». Je pense que c’est un ensemble de compétences qui manque dans la trousse à outils. »

Et un aspect que les organisations sportives doivent améliorer est celui de pouvoir assurer que leurs programmes sont conçus pour tous, et pas seulement pour les athlètes de haut niveau.

« Le mot “inclusivité” est devenu à la mode, et certains ont perdu de vue ce qu’il signifie. Je crois que chaque enfant, dans n’importe quelle école, devrait avoir l’opportunité de pratiquer un sport et accéder au niveau qui lui convient. La pratique d’un sport devrait figurer sur leur diplôme, au même titre que n’importe quelle compétence en mathématiques, en langues ou en sciences. »

Trop de politique, pas assez d’action

Vicky Harber est particulièrement préoccupée par la situation du sport sécuritaire dans le pays, car elle a l’impression d’entendre beaucoup de discours, mais elle ne voit aucun progrès. Pendant ce temps, des histoires d’abus sexuels et physiques ébranlent plusieurs univers sportifs. Elle n’a pas hésité à partager son opinion sur le sujet.

« J’ai dit des choses autour de la table qui ont énervé les gens, et je reconnais que si mes pensées irritent les gens, j’aimerais bien les entendre. Mais en ce qui concerne les politiques actuelles en matière de sport sécuritaire, nous avons trop de politiques et pas assez d’actions. Il y a ces lignes directrices et ces recommandations, mais est-ce que cela a changé quoi que ce soit dans la façon dont l’athlète est pris en charge et soutenu ? »

Malheureusement, elle pense que la réponse est non.

« Avec le nombre croissant d’histoires d’abus dans les nouvelles, récemment au sein de Gymnastique Canada, je me demande parfois si au niveau mondial, il y a une façon sécuritaire de procéder. C’est une question que je pose, et c’est très difficile d’y réponde. C’est comme si on nous demandait d’apprendre une nouvelle langue sans nous donner les bases et les outils pour le faire. »

Heureux hasards

Maintenant qu’elle est arrivée à la fin de sa carrière, Vicky Harber a le sentiment d’avoir bénéficié d’un certain nombre d’heureux hasards qui l’ont menée à une carrière profondément satisfaisante et parfois épuisante dans le monde du sport. Maintenant qu’elle est prête à tirer sa révérence, elle est satisfaite de ce qu’elle a accompli depuis l’obtention de son doctorat en 1988.

Elle est particulièrement fière d’un atelier de 8 heures qu’elle a développé avec Femmes et sport au Canada, Canadian Tire Bon départ et Respect Group, sur le développement des aptitudes sportives des filles, et ce, à plus long terme. Ce n’est là qu’un exemple de l’impact durable qu’elle a eu, et elle espère que son travail continuera à favoriser un changement de culture progressif.

« J’ai l’impression que c’est un véritable exploit, vraiment. Je suis heureuse que ce type d’information soit diffusé plus fréquemment. Les gens n’en parlaient certainement pas lorsque j’ai commencé à travailler, alors il est agréable de voir que nous faisons des progrès. L’ampleur de ces progrès, cela reste à voir. »

En fin de compte, elle se souvient d’elle, toute petite, et elle veut que tout le monde ait les mêmes opportunités multisports qu’elle a eues. C’est ce à quoi elle a consacré toute sa carrière, comme une façon d’exprimer sa gratitude.

« J’ai toujours ressenti une grande appartenance pour le drapeau rouge et blanc, alors le fait de concourir au niveau olympique et d’avoir la carrière que j’ai eue est vraiment le fruit d’une série d’heureux hasards. Presque comme si c’était hors de mon contrôle. Il est évident que j’ai travaillé dur pour accomplir ce que j’ai fait, mais j’essaie de ne pas oublier tout le travail nécessaire pour créer un système où des athlètes comme moi peuvent s’épanouir. C’est pourquoi j’ai passé ma vie à essayer de rendre la pareille. »

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