Quatre questions avec Alex Chiet

Alex Chiet a laissé une carrière sportive prometteuse au Canada pour devenir consultant national chez Sport New Zealand, et il est arrivé juste à temps pour agir à titre de catalyseur dans la refonte des cinq plus importantes organisations sportives pour les jeunes de ce pays. En tant que champion du plaisir et de l’inclusion, il a supervisé un changement de culture qui marquera l’évolution du sport chez les Kiwis pour les années à venir. Le sport c’est pour la vie l’a contacté pour évaluer si ses réussites pourraient être imitées dans le contexte canadien.

#1. Vous croyez fortement au développement holistique et, dans certaines entrevues avec les médias, vous avez exprimé votre insatisfaction quant à l’immobilisme qui caractérise le milieu des sports pour les jeunes. Dans le cadre de votre initiative Balance is Better, les organisations priorisent le plaisir, la socialisation et l’inclusion plutôt que de continuer à mettre l’accent sur la compétition. À quel moment dans votre carrière avez-vous réalisé que ce changement était nécessaire et pour quelles raisons?

Ma vision de ce changement a évolué à mesure que j’ai pris de l’expérience et que j’ai appris en abordant le système sportif de différents points de vue (joueur, entraîneur, parent et gestionnaire). J’ai aussi pu profiter de mon apprentissage continu auprès des nombreuses personnes inspirantes avec lesquelles j’ai travaillé pendant ma carrière. Je pense qu’en faisant la transition d’un milieu sportif (ONS / OSP) vers un emploi avec Sport NZ (gouvernement de la Nouvelle-Zélande), je me dois me penser davantage au système sportif dans son ensemble.

Chez Sport NZ, nous nous considérons chanceux d’avoir accès à de l’information et des idées nous permettant de réfléchir et de rassembler les bonnes personnes afin de travailler sur des projets collectifs. Il est facile d’être pris dans l’engrenage du secteur du système sportif dans lequel vous travaillez — les parcours de performance, par exemple — et de ne pas discerner les répercussions des programmes sur d’autres secteurs du système sportif, comme les parcours de participation. Après avoir consulté nos organisations partenaires ayant mis au point le plan de développement des talents Balance is Better de Sport NZ en 2015, ce problème est devenu de plus en plus apparent.

Plus nous travaillions avec nos leaders sportifs et les écoutions, plus nous réalisions que les défis étaient les mêmes, mais dans un contexte différent. Au cours des dernières années, cette situation s’est traduite par un déclin de la participation sportive, spécialement pour nos rangatahi (jeunes de 11 à 18 ans). Les comportements liés à la performance tirent le milieu du sport pour les jeunes vers le bas à un rythme alarmant et ça nuit à la qualité de l’expérience sportive pour tous les jeunes. Ça empêche aussi les jeunes sportifs d’atteindre leur plein potentiel en tant qu’athlètes de haut niveau. Maintenant que nous avons recueilli les données et que la preuve est faite, nous devons générer un changement de culture et modifier les comportements. Nous sommes fiers de nos progrès.

#2. Les cinq sports qui ont décidé de participer à ce changement de culture sont le cricket, le soccer, le hockey sur gazon, le netball et le rugby. Dans un éditorial, le professeur Nicholas Rowe a écrit que le penchant pour la compétition a aussi historiquement gâché la carrière de beaucoup de participants. Quelles autres organisations avez-vous identifiées, et comment prévoyez-vous les faire embarquer?

Effectivement, il y a 15 mois, nous avons commencé à travailler de façon plus directe avec nos cinq sports les plus populaires. Nous nous étions basés sur les leçons tirées de projets pilotes antérieurs révélant que ces sports avaient besoin de quelques éléments essentiels pour amorcer ce changement, comme l’alignement de leurs stratégies, de leur soutien au leadership et des structures d’adhésion de leurs membres, autant en termes de compétence que de capacité. Bien que ça ait été une décision difficile à l’époque, surtout pour les autres sports, nous avons senti que pour amorcer un changement, nous aurions un meilleur impact en travaillant avec un plus petit groupe de sports pour les premières étapes.

Nous voulions mettre la barre haute et nous assurer que les mesures prises par les sports (p.ex. mettre fin aux programmes de représentation, offrir de nouvelles occasions de participer) étaient bien mises en pratiques, donc pas seulement des paroles en l’air. Les sports ont vraiment eu à se réinventer. Même si plusieurs voulaient changer leurs programmes et leurs structures, pouvaient-ils vraiment y arriver? Quand nous avons pris notre élan, nous voulions que les progrès réalisés se répandent et profitent à leur tour aux autres sports. Nous incluerions alors ceux-ci dans le programme et les inviterions à s’engager comme les cinq premiers sports vers la voie du changement.

Si nos sports les plus populaires, disposant de meilleures ressources et d’une plus grande capacité, n’avaient pas pu être le fer de lance de ce changement, les autres sports n’auraient sans doute pas pu y arriver dans notre système sportif en manque de ressources. Heureusement, c’est exactement ce qui s’est produit : nous allons bientôt dévoiler les cinq nouveaux sports qui ont signé la déclaration d’intention et Sport NZ commencera à générer la capacité et le leadership dont ils ont besoin pour effectuer ce changement. Même si les autres sports (autres que ces 10) n’ont pas signé la déclaration d’intention, ils peuvent toujours se rallier à la campagne et diffuser les messages clés. Ça a été vraiment exceptionnel de voir nos leaders sportifs s’unir pour ce projet, de les voir privilégier cette collaboration. Ils reconnaissent le bien collectif qu’en retireront nos tamariki et rangatahi (enfants et jeunes), tout comme notre système sportif. C’est à mon avis un des points marquants. Cependant, nous sommes encore loin d’avoir terminé.

Nous avons du chemin à faire, mais nous faisons des progrès très encourageants.

#3. Avant de vous rendre en Nouvelle-Zélande en 2014, vous avez travaillé dans le milieu du soccer canadien pour les jeunes. Bien que vous y ayez accompli de grandes choses, vous n’y avez pas constaté l’engouement que vous remarquez présentement ailleurs. À votre avis, qu’est-ce que les organisations sportives canadiennes pourraient faire pour évoluer au même rythme que le reste du monde, et à quoi peut-on attribuer le retard qu’elles accusent?

Quand je pense au temps que j’ai passé au Canada avec Soccer Ontario et au sein du système sportif général, j’en garde de bons souvenirs. Un des éléments fondamentaux du milieu sportif tourne autour des relations. Nos pratiques sont vraiment orientées vers les relations humaines et j’ai eu le privilège de me faire de grands amis avec qui je resterai en contact. Honnêtement, j’ai un peu perdu le fil de ce qui se passe sur le terrain au Canada parce que je me concentre maintenant sur la Nouvelle-Zélande. Je peux définitivement citer des personnes exceptionnelles, un important leadership intellectuel, et des modèles, outils et ressources aux niveaux national, provincial et local. Il y a beaucoup de choses que les Canadiens réussissent mieux que nous ici en Nouvelle-Zélande.

Voici quelques problématiques que j’ai rencontrées et dont je peux parler :

1) Le fait que le système sportif canadien comporte plusieurs niveaux (ONS, OSP, Communautés, Clubs), ayant chacun leur propre processus décisionnel, nuit à l’harmonisation en termes de vision et d’action collective. Je me souviens d’avoir lu d’excellents documents et modèles attestant du désir de collaborer, mais qui ne se sont pas traduits par des mesures concrètes sur le terrain dans les provinces, communautés ou clubs à travers le pays. et cela semble être le cas autant au sein d’un même sport qu’entre différents sports travaillant ensemble dans des contextes plus locaux ou communautaires. C’est toujours un défi d’obtenir le bon équilibre entre la carotte (la formation) et le bâton (les lois) afin de créer l’environnement idéal à une collaboration authentique permettant de nouvelles façons de travailler.

2) L’attrait pour les sports professionnels et l’immersion de la société envers ceux-ci est un enjeu au Canada / en Amérique du Nord. Ici, en Nouvelle-Zélande, nous faisons face aux mêmes défis, mais le sport professionnel en est encore à ses débuts. Je peux dire que la saturation du monde du sport / du divertissement a un impact sur ce que les parents / entraîneurs / gestionnaires décident dans le meilleur intérêt des enfants. Les enfants ne sont pas des mini-adultes ou des athlètes de haute performance. Ils ont besoin de différents programmes qui correspondent à leurs besoins de développement. Chaque jeune devrait pouvoir vivre une expérience sportive de qualité, peu importe son genre, ses habiletés ou son talent. Je pense que le retour du balancier vers la valorisation du sport et de l’activité physique profite à notre bien-être, plutôt que le sport pour l’intérêt du sport et la trop haute importance accordée à la compétition / à la performance qui poussent plusieurs jeunes à délaisser le sport et l’exercice pour le reste de leur vie.

#4. Si vous pouviez donner un seul conseil à la prochaine génération d’entraîneurs sportifs et d’autres leaders sportifs au Canada, quel élément serait selon vous le plus important à renforcer dans le milieu du sport pour les jeunes?

Ne perdez pas de vue la facette humaine du sport. Que vous soyez un entraîneur ou un leader, le sport repose sur les gens et les relations. Personne ne possède toutes les réponses, personne n’interprète tout de la même façon, et les projets que j’ai observés ou auxquels j’ai eu la chance de participer ont toujours impliqué plusieurs esprits et tenu compte de différents points de vue. Pour tout processus de décision, gardez à l’esprit ce qui est le mieux pour les jeunes et pensez de façon plus générale à la valeur réelle du sport et à ce que la société peut en retirer en termes de bien-être, de connexions, de leadership, de travail d’équipe, de santé physique et mentale. Nous devons travailler plus fort ensemble pour faire évoluer les mesures du succès dans le milieu du sport pour les jeunes.

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