Littératie physique et santé mentale : Entrevue avec le Dr Guy Faulkner

Dr Guy Faulkner est professeur de kinésiologie à l’Université de la Colombie-Britannique. Il est fasciné depuis longtemps par le lien entre l’activité physique et la santé mentale. Il est fondateur et rédacteur en chef du journal universitaire Mental Health and Physical Activity et présente souvent les résultats de ses recherches lors de conférences internationales. Récemment, il était conférencier d’honneur à la Conférence internationale de la littératie physique à Winnipeg. Pour cette infolettre, il s’est entretenu avec notre rédacteur Will Johnson à propos des nuances de son travail et des principaux points à retenir pour ceux qui aspirent à un mode de vie sain et actif.

Nº 1. À un certain niveau, nous comprenons tous que l’activité physique est bénéfique pour notre santé mentale, mais il manque de preuves scientifiques pour appuyer ces affirmations. D’après ce que j’ai appris sur la littératie physique, la relation est beaucoup plus profonde et nuancée qu’elle ne semble. Vous étudiez la question depuis plusieurs années. Quels sont les principaux points à retenir quant aux retombées d’une vie active sur la santé mentale? 

Au cours des 10 dernières années, il semble y avoir eu une explosion d’intérêt pour la relation entre l’activité physique et la santé mentale. Il existe même aujourd’hui un journal académique qui y est entièrement consacré. Les recherches réalisées sur le sujet ont permis de constituer une base de connaissances convaincante qui corrobore l’existence d’une relation entre l’activité physique et un certain nombre de dimensions de la santé mentale. Cette relation pourrait être critique. Les effets sur la santé mentale sont importants en eux-mêmes, mais pourraient aussi être essentiels pour motiver les personnes à rester physiquement actives. Sans participation régulière, les avantages mentaux et physiques ne pourront être cumulés.

Bien sûr, il s’agit d’une relation complexe, mais à la base, qu’entendons-nous par activité physique? Et qu’entendons-nous par santé mentale? En ce qui trait à l’activité physique, nous pouvons regarder le type d’activité – par exemple, jouer au badminton ou aller faire du jogging. Mais qu’en est-il de l’intensité de l’activité ou de l’endroit où vous la pratiquez? Parlons-nous des effets d’une courte marche rapide ou des effets à long terme de l’exercice deux fois par semaine pendant 10 semaines? Nous pouvons donc considérer plusieurs dimensions de l’activité physique. De la même façon, quand nous examinons la santé mentale, nous pouvons nous intéresser à la façon dont l’activité physique prévient une mauvaise santé mentale, favorise la santé du cerveau, sert à traiter un problème de santé mentale ou procure du bonheur pour chacun d’entre nous.

Différentes doses d’activité physique peuvent produire différents résultats. Un autre aspect important concerne les mécanismes grâce auxquels l’activité physique favorise la santé mentale. L’activité physique est-elle une distraction? Change-t-elle notre perception de nous-mêmes physiquement, ce qui a un impact sur notre estime de soi? Ou y a-t-il des mécanismes neurobiologiques qui entrent en jeu – l’activité physique modifie-t-elle la plasticité cérébrale, par exemple?

La documentation scientifique confirme que différentes doses d’activité physique sont efficaces chez diverses populations pour un large éventail d’indicateurs de santé mentale. Par conséquent, le dosage réel de l’activité physique (fréquence, intensité et durée) nécessaire pour obtenir des résultats bénéfiques n’est pas clair. Cependant, la dose d’activité physique la plus efficace est probablement celle que les individus apprécient et trouvent agréable. Plusieurs mécanismes susceptibles d’entraîner des changements dans la santé mentale ont été identifiés, mais on ne sait toujours pas exactement comment on obtient des avantages spécifiques pour la santé mentale. Le principal défi demeure : il faut aider les gens à être actifs et à rester actifs. Il faut mettre au point des interventions auxquelles ils vont adhérer tout au long de la vie. On en sait peu sur le soutien requis (ampleur, type, responsabilité) pour amener les gens à faire suffisamment d’activité physique pour améliorer leur santé mentale. Au lieu de cibler les activités qui ne représentent que 2 % de notre journée (par exemple, une activité physique d’intensité moyenne à élevée), nous devrons peut-être aussi prendre en compte les contributions de l’activité physique d’intensité légère qui ont le potentiel de réduire les niveaux de sédentarité et d’être bénéfiques pour la santé mentale.

La réponse à ces questions devrait être l’objectif principal des recherches futures si l’on veut faire progresser le domaine de l’activité physique et de la santé mentale.

Nº 2. Avez-vous des exemples concrets qui illustrent le lien entre la santé mentale et la littératie physique?

L’une de mes études préférées est celle que j’ai menée auprès d’une équipe britannique de soccer composée de jeunes hommes atteints de schizophrénie (Carter-Morris et Faulkner, 2003). L’apparition de problèmes de santé mentale tels que la schizophrénie peut mener à l’abandon des activités, ou à l’exclusion de la pratique des loisirs dans la communauté. Je me suis penché sur le rôle que le sport pourrait jouer pour aider les individus à réintégrer les services collectifs et à retrouver un aspect agréable et important de leur identité antérieure, avant d’être malades. Et qu’est-ce qui intéresse beaucoup de jeunes hommes en Angleterre? Le soccer!

La participation sociale est un élément essentiel de la littératie physique. Or, la participation au projet soccer a eu un effet positif sur la vie des participants en favorisant un sentiment de normalité et en offrant des possibilités sécuritaires d’interaction sociale dans un contexte où le diagnostic était sans importance. Je n’oublierai jamais ma conversation avec un participant qui m’a expliqué que, lorsqu’il joue sur le terrain, il est un joueur de soccer et non un « schizophrène », avec tout ce que cela implique. Ses mots m’ont réellement marqué. Cela souligne aussi à quel point le processus d’activité physique est important. C’est bien plus que simplement faire de l’activité physique.

Carter-Morris, P. et Faulkner, G. (2003). A football project for service users: the role of football in reducing social exclusion. Journal of Mental Health Promotion, 2, 24-30.

Nº 3. Comment votre compréhension de cet enjeu a-t-elle évolué au fil des ans? Y a-t-il de vos croyances qui se sont révélées erronées depuis?

Étant donné la complexité de la relation entre l’activité physique et la santé mentale, j’ai essayé de comprendre pourquoi le processus d’être physiquement actif est si critique. Les problèmes de dépense énergétique, par exemple, sont secondaires au contexte dans lequel l’activité physique se produit. Nous changeons donc notre optique « d’association positive entre activité physique et santé mentale » pour adopter une formule plus provisoire : « il peut exister une association positive dans des circonstances favorables ». Pour moi, c’est dans cette perspective que la littératie physique est la plus bénéfique : lorsqu’elle est soutenue et qu’elle favorise le plaisir, la maîtrise, les interactions sociales, par exemple. C’est là que nous voyons plus distinctement les avantages pour la santé mentale. Cela n’exclut pas le fait qu’il puisse y exister des mécanismes neurobiologiques chez certaines personnes dans certaines circonstances, mais aucune preuve ne suggère que de tels mécanismes soient obligatoires pour obtenir des bienfaits sur la santé mentale. Je dirais donc maintenant qu’il existe « des associations positives entre l’activité physique et la santé mentale dans des circonstances favorables qui soutiennent le développement de la littératie physique ».

Par extension : en favorisant la littératie physique, on favorise la santé mentale!

Nº 4. Quelle est la découverte la plus spectaculaire et la plus surprenante que vous avez faite au cours de votre carrière?

J’aimerais sincèrement avoir fait des découvertes spectaculaires au cours de ma carrière! Peut-être qu’elles se trouvent dans mon avenir. Je ne pense pas nécessairement que les résultats soient surprenants, mais j’ai fait quelques travaux qui soulignent que la participation sportive des jeunes n’est pas toujours associée à des résultats positifs pour la santé. Une étude récente examinait la prévalence de la participation à un sport d’équipe et les associations longitudinales avec les comportements liés à la santé chez les adolescentes canadiennes (Lau et al., 2019). L’étude a révélé que les filles qui pratiquaient un sport étaient davantage susceptibles de consommer plus fréquemment du cannabis et de boire de l’alcool en quantité excessive que les filles qui ne participaient aucun sport. Évidemment, ce n’est pas le sport en lui-même qui mène à ces comportements, mais bien le contexte social et les normes associées aux sports d’équipe en particulier. Nous voulons que davantage de filles restent engagées dans le sport, mais nous devons également réfléchir aux moyens de prévenir la consommation de substances nocives.

Lau, N. Riazi, W. Qian, S. Leatherdale et G. Faulkner (2019). Protective or risky? The longitudinal association of team sports participation and health-related behaviours in Canadian adolescent girls. Canadian Journal of Public Health, doi: 10.17269/s41997-019-00221-4. [Publication électronique avant impression]

Nº 5. Pouvez-vous parler de votre propre santé mentale en lien avec la littératie physique? Avez-vous déjà eu une prise de conscience qui vous a conduit à une meilleure santé? Quels ont été certains de vos obstacles?

La santé mentale nous concerne tous et, comme la plupart des gens, j’ai eu des hauts et des bas provoqués par des événements de la vie. Quand les choses vont bien, je suis plus actif, mais j’ai du mal à rester actif quand elles vont moins bien. Donc, il s’agit là d’un bon rappel à la réalité – malgré tout ce que nous savons sur les avantages de l’activité physique, nous avons encore besoin de fournir du soutien et des environnements propices pour inciter l’adhésion à une activité physique et son maintien d’une manière qui favorisera le développement des compétences, la motivation et le plaisir.

jusqu'à l'ouverture du Sommet Le sport c'est pour la vie 2025!

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