Créer un environnement sportif positif : entretien avec Pamphinette Buisa

Quand elle était plus jeune, Pamphinette Buisa se faisait souvent reprocher d’être trop agressive. À l’école primaire, elle a essayé divers sports comme le volleyball et le basketball, mais elle ne se sentait pas à sa place. C’est alors qu’elle a découvert le rugby, un sport dans lequel elle était encouragée à plaquer les autres joueuses. Elle s’était souvent sentie gênée d’être grande, élancée et gauche, mais sur le terrain de rugby, elle était félicitée pour sa force et sa vitesse. La découverte de ce sport a eu un effet cathartique pour la jeune athlète.

« J’étais généralement la seule fille noire dans l’équipe et j’avais de longues tresses, alors j’étais très différente des autres joueuses. Mes parents ne voyaient pas le rugby comme un sport conventionnel pour leur fille, mais ils m’ont toujours soutenue. J’ai eu le privilège d’avoir des gens pour me montrer le chemin dans ce sport, et ce, de l’école secondaire, au club sportif jusqu’aux compétitions provinciales. Ils ont toujours vu mon talent, et ils m’ont toujours comprise. Le fait d’avoir des gens qui croyaient en moi m’a aidé à nourrir mon amour pour ce sport », a confié Pamphinette à Le sport c’est pour la vie.

C’est l’environnement sportif positif dans lequel elle a grandi qui a permis à Pamphinette de réussir et de faire partie de l’équipe féminine du Canada de Rugby 7s, où elle a occupé la position d’avant dans l’équipe de rugby à sept et de flanqueuse dans l’équipe de rugby à quinze. Pendant six ans, elle a eu la chance de voyager dans le monde, de participer à la Coupe du monde de rugby, aux Jeux panaméricains et aux Championnats du monde universitaire. Puis, elle s’est mise à lorgner les Jeux olympiques, un but qui lui a donné un objectif à atteindre, qui a nourri sa passion.

Mais malgré cette effervescence, elle sentait aussi que quelque chose n’allait pas du tout.

Remettre en question les structures du pouvoir colonial

L’année dernière, Pamphinette Buisa et son équipe ont fait les manchettes après le renvoi de leur entraîneur en avril, une décision qui a été prise après que les membres de l’équipe ont unanimement dénoncé un climat d’intimidation et des abus. Bien qu’il ait nié avoir commis des actes répréhensibles, il a fini par être relevé de ses fonctions. Pamphinette Buisa estime que ce résultat a davantage été lié à des problèmes structurels au sein de l’organisme qu’à l’entraîneur lui-même. Elle constate à quel point la nature compétitive du sport de haute performance fait en sorte qu’il est difficile de ne pas entrer en compétition les uns contre les autres.

« La façon dont cela fonctionne, c’est que nous sommes 21 joueuses, mais seulement 12 sont choisies pour participer aux tournois internationaux. À l’interne, en tant qu’équipe, nous avons constaté que notre culture d’équipe était malsaine, car nous étions nombreuses à ne pas entretenir de relations authentiques les unes envers les autres en dehors du terrain. Ça a été une chose difficile à admettre : nous n’avions pas d’affection les unes pour les autres. Dans ce contexte, comment être solidaire avec mes coéquipières si je ne sais même pas ce qui leur tient à cœur? Je leur ai donc demandé comment être une meilleure coéquipière », a-t-elle confié.

« Et si nous sommes dans une culture qui perpétue la souffrance, le temps est venu de changer les choses. Qu’il s’agisse des entraîneurs, des joueuses ou de l’administration, pourquoi ne pas leur donner les bons outils pour exercer leur pouvoir, ou encore examiner la façon dont il use de leur pouvoir? ».

Pamphinette et ses coéquipières ont été inspirées par le mouvement Black Lives Matter et par la sensibilité croissante du public manifestée avant la pandémie, et qui a pris de l’ampleur pendant celle-ci. Les joueuses avaient réussi à créer un sentiment de solidarité au sein de leur équipe, mais en pleine préparation pour les Jeux olympiques, la controverse entourant l’enquête sur le départ de leur entraîneur agissait comme une source de distraction. Mais rien ne pouvait les préparer à ce qui allait se passer ensuite : alors même qu’elles compétitionnaient aux Jeux de Tokyo, entre deux parties, un entraîneur de Rugby Canada les a prises pour cibles.

Il a publié cinq gazouillis dans lesquels il critiquait leur performance.

« Ça a été un exemple concret du genre de problèmes auquel nous faisions face. Nous étions en train de nous reposer, et écoutions de la musique entre les parties, puis en nous rendant en ligne, nous avons découvert qu’une personne de notre propre communauté s’en prenait à nous! L’effet a été ravageur et blessant, sans parler de la distraction que ça a créée. Des journalistes nous contactaient pour avoir notre réaction, mais nous devions éteindre nos téléphones et retourner sur le terrain », a-t-elle raconté.

Cet entraîneur est devenu la deuxième personne de l’organisme à être congédiée en moins d’un an.

L’avenir de Rugby Canada

Pamphinette pense encore à la médaille d’or qu’elle veut remporter et prévoit de participer aux prochains Jeux olympiques. Entre-temps, la jeune femme de 24 ans a commencé à explorer les occasions de parler de race, de sensibilisation sociale et de la meilleure façon de créer un organisme de sport décolonisé, fondé sur les principes du modèle du Développement à long terme par le sport et l’activité physique et du Parcours de développement à long terme du participant autochtone. Elle a participé au Sommet canadien virtuel Le sport c’est pour la vie de 2021 pour partager certaines de ses idées.

« J’ai toujours été une personne curieuse, qui a soif d’apprendre. J’étudie actuellement en sciences politiques avec une mineure en justice sociale pour voir comment ces domaines se rejoignent et se chevauchent. Depuis que je fais du travail de consultation avec je constate que ces problèmes structurels sont partout. Les gens me disent : “concentre-toi seulement sur le sport, ne fais pas de militantisme”, mais la résistance fait partie de moi, de mon identité. C’est devenu une responsabilité d’utiliser ma voix de façon volontaire et responsable », a-t-elle expliqué.

« Ce n’est pas tout le monde qui a le privilège de pouvoir faire ça. »

Pour Kabir Hosein, directeur des opérations et des initiatives stratégiques chez Le sport c’est pour la vie, la tourmente dans laquelle s’est trouvé Rugby Canada est un bon exemple des discussions difficiles qui se sont tenues partout au pays. Après avoir été impressionné par sa présentation au Sommet, il a suivi avec intérêt l’évolution de son équipe.

« C’est une période sans précédent pour le monde du sport. Les organismes s’attaquent plus que jamais aux problèmes d’équité, de diversité, d’inclusion et d’accessibilité. Des structures de pouvoir problématiques sont démantelées et les gens qui abusent de leur pouvoir sont tenus responsables, et c’est une bonne chose. Le travail que Pamphinette et son équipe ont accompli avec Rugby Canada profitera aux futurs joueuses et joueurs et à l’ensemble de l’organisme », s’est-il réjoui.

« En tant que Canadiens et Canadiennes, nous devons nous assurer que les leçons tirées servent à quelque chose. Nous devons redoubler d’efforts pour promouvoir un sport de qualité, exactement ce qu’on obtient quand on combine les bons programmes à du personnel qualifié et à des environnements sains. Avec ces impératifs en tête, nous pouvons tous travailler à un avenir meilleur pour tous. »

 

jusqu'à l'ouverture du Sommet Le sport c'est pour la vie 2025!

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