Le sport pour tous : favoriser des activités sportives mixtes et inclusives
Un rapport de recherche détaillé intitulé « La mixité en sport : de la binarité par défaut à un système basé sur les besoins et le bien-être des athlètes » examine la participation au sport mixte au sein de huit fédérations sportives du Québec : water-polo, ultimate frisbee, baseball, natation, natation artistique, ski de fond, parasports et cheerleading. Cette étude a été dirigée par Lou St-Pierre, Ph. D. (auteur principal), en collaboration avec Anne-Marie Rouillier, Ph. D., Juliette Bernatchez, M.A. et Guylaine Demers, Ph. D., du Laboratoire pour la progression des femmes+ dans les sports au Québec.
Contexte historique et méthodologie
Le rapport indique que les structures sportives modernes ont été établies sur une division binaire stricte à la fin du 19e siècle. Cette fondation historique a conduit à ce que la séparation entre les sexes soit rarement remise en question dans l’univers sportif, devenant ainsi une norme considérée comme naturelle. Comme le mentionnent les auteurs, « la séparation entre garçons et filles est rarement remise en cause dans l’écosystème sportif et s’impose comme “évidente” ».
La méthodologie de la recherche a impliqué des entretiens menés auprès de 44 personnes provenant de huit fédérations sportives, ainsi que des observations sur le terrain lors de compétitions et d’entraînements dans des disciplines telles que l’ultimate frisbee, la natation artistique, le boccia, la course à pied lors du Défi AlterGo ainsi que le cheerleading. Cela a permis aux équipes de recherche de saisir la « mixité en action » et d’affiner leur analyse grâce à des observations directes.
Formes de participation mixte
Le rapport révèle que la participation mixte se manifeste de diverses façons :
- Mixité intra-équipe : dans l’ultimate frisbee, les équipes respectent un équilibre de genre spécifique, avec deux hommes et deux femmes lors des matchs en format 4 contre 4.
- Mixité intra-ligue : des équipes exclusivement féminines participent à des ligues masculines, comme l’équipe féminine d’étoiles de hockey du Québec qui prend part au Tournoi de hockey pee-wee de Québec.
- Entraînement mixte : dans des sports comme la natation et le ski de fond, les athlètes s’entraînent ensemble, indépendamment du sexe, mais iels concourent séparément.
- Événements mixtes : certains sports, comme la natation artistique, intègrent désormais des duos mixtes, tandis que les Jeux olympiques ont ajouté des épreuves telles que le triathlon par équipes mixtes.
- Disciplines intrinsèquement mixtes : des sports comme le korfbal et le quadball ont été conçus dès le départ pour une participation mixte.
Défis propres à chaque sport
Chaque fédération rencontre des circonstances uniques concernant la participation mixte :
- Water-polo : Le temps limité d’accès à la piscine oblige souvent à la mixité, indépendamment des préférences individuelles. Ce sport, physiquement exigeant et caractérisé par des contacts fréquents, soulève des inquiétudes quant au risque que la mixité décourage la participation des filles.
- Ultimate frisbee : La fédération a récemment décidé d’instaurer une séparation selon le sexe pour les athlètes de moins de 16 ans, une décision qui ne fait pas l’unanimité. Certaines filles préfèrent jouer en mixité et s’interrogent sur leur volonté de poursuivre ce sport dans un cadre désormais séparé.
- Baseball : Bien que ce sport ait traditionnellement été dominé par les hommes, la participation féminine a considérablement augmenté, entraînant la création de programmes et de ligues spécifiquement destinés aux femmes.
- Natation : Si les compétitions demeurent séparées entre filles et garçons, les séances d’entraînement sont généralement mixtes. Certains clubs d’excellence ont expérimenté une séparation complète des genres, avec des résultats partagés : certains ont réintégré les groupes mixtes, tandis que d’autres ont choisi de maintenir cette division.
- Natation artistique : Longtemps perçue comme un sport réservé aux filles, la natation artistique s’ouvre progressivement à la mixité, notamment avec l’introduction des duos mixtes. Toutefois, de nombreux garçons abandonnent la compétition au début de l’adolescence, en raison des stéréotypes toujours présents.
- Ski de fond : Le ski de fond est confronté à un problème de rétention des filles, particulièrement lors de la transition du secondaire vers les études postsecondaires. La baisse du nombre de jeunes femmes accédant au niveau élite soulève des questions sur l’impact de l’entraînement mixte.
- Parasports : La participation mixte est courante dans les parasports, en grande partie pour permettre la création de compétitions viables malgré le nombre restreint d’athlètes. Cependant, les femmes en situation de handicap continuent de lutter pour leur reconnaissance, comme le montre la difficulté de l’équipe féminine canadienne de parahockey à obtenir un statut officiel et un financement.
- Cheerleading : Avec l’augmentation du nombre de garçons et d’hommes dans ce sport historiquement féminin, la mixité tend à devenir la norme. Toutefois, certains garçons abandonnent à l’adolescence, bien que plusieurs reviennent plus tard.
Impact de la socialisation de genre
La socialisation de genre influence fortement le développement sportif et les comportements des jeunes athlètes.
Comme l’explique un entraîneur de baseball : « Ce que j’ai remarqué, c’est que les garçons gèrent mieux l’échec pendant un match que les filles. Après la partie, tout le monde est déçu d’un zéro en trois, mais pendant le jeu, les garçons rebondissent plus vite et retournent frapper. »
Plusieurs entraîneur·e·s affirment également ajuster leur approche auprès des filles : « Les filles doutent plus souvent d’elles-mêmes, elles ont moins l’impression d’avoir leur place. Alors j’adopte une approche plus encourageante… Je souligne leurs réussites : “C’était vraiment bien, ce que tu as fait là!” » Il est important de préciser que ces ajustements ne pénalisent pas les garçons, au contraire, plusieurs d’entre eux en bénéficient également.
De manière générale, les filles abordent souvent le sport comme un espace de socialisation : « Pour ma fille, le sport, c’est avant tout 70 % social et 30 % performance. Cela dit, le fait qu’elle soit active est extrêmement bénéfique pour sa santé physique et mentale. »
Les garçons, eux, sont souvent décrits comme plus compétitifs, mais parfois un peu moins disciplinés. « Les garçons sont beaucoup plus agressifs… Les difficultés comportementales ne sont pas les mêmes. » Un autre entraîneur ajoute : « Chez les garçons, l’ego est tellement fort que leur confiance en eux est parfois excessive, ce qui finit par les freiner. Ils réfléchissent moins sur eux-mêmes, mais ils n’ont pas peur d’essayer. »
Défis et pistes de solutions
Être mise de côté dans les sports d’équipe
Les filles rapportent souvent être écartées du jeu. Une joueuse d’ultimate raconte : « Plus un gars est compétitif, moins il fait de passes aux filles. C’est évident. »
Mesures mises en place par les entraîneur·e·s :
- Suivi régulier avec les joueuses : « À chaque match, je demande aux filles : As-tu eu l’occasion de toucher le disque? Et as-tu été bien placée sans recevoir la passe? »
- Intervention immédiate : « Dès qu’un problème se présente, j’interviens rapidement auprès des garçons : “Ce n’est pas acceptable, ça doit changer. “ »
- Sélection basée sur les valeurs : Un entraîneur privilégie « des garçons moins talentueux, mais ayant une attitude respectueuse envers les filles » plutôt que de sélectionner uniquement les meilleurs athlètes avec des préjugés sexistes.
- Ratios de genre obligatoires : L’ultimate impose une règle de 50/50 en format 4 contre 4 pour garantir une participation équitable des filles.
Problèmes liés au contact physique
Une joueuse de water-polo a témoigné : « Quand une femme est meilleure qu’eux [les hommes], cela ébranle leur ego. Il y a eu plusieurs moments où les hommes étaient très frustrés… J’ai failli être frappée plusieurs fois. »
Solutions mises en place :
- Instaurer des normes culturelles : « C’est une culture dans notre club : dès que tu rejoins l’équipe, elle est mixte. »
- Discussions ouvertes : Les entraîneur·e·s de cheerleading abordent les contacts accidentels pouvant survenir avec les fesses, les parties génitales ou les seins et rappellent régulièrement à tous l’importance du consentement et des limites.
- Sanctions pour comportements inappropriés : Les athlètes qui ne corrigent pas leur technique après avoir été avertis risquent l’exclusion.
L’homophobie dans les sports traditionnellement féminins
Les participants masculins dans des sports traditionnellement féminins subissent des commentaires homophobes. Un entraîneur de cheerleading a remarqué : « Les garçons du football n’hésitent pas à faire des remarques [homophobes] à ceux qui pratiquent le cheerleading. »
Réponses des sports face à cette problématique :
- Modifications des règles : La natation artistique a ajusté ses systèmes de notation pour mettre l’accent sur la performance athlétique, tout en réduisant l’importance des critères esthétiques.
- Valorisation de la diversité : Un directeur de club a souligné : « Il est essentiel de promouvoir la diversité corporelle, tout comme la diversité de genre… il faut ouvrir la voie à toutes les formes de diversité. »
- Approches neutres en matière de genre : « En ce qui concerne la chorégraphie, j’ai choisi une musique plus neutre sur le plan du genre… Pour les maillots de bain, j’ai opté pour des modèles avec des épaules dénudées, afin d’assurer une uniformité visuelle dans l’eau. »
Facteurs de réussite
Deux éléments clés ont contribué au succès des expériences de mixité :
1. Les entraîneur·e·s qui défient les stéréotypes de genre
Les entraîneur·e·s efficaces adoptent des approches personnalisées :
- « Il est essentiel d’écouter davantage vos athlètes et de vous adapter à chaque individu. »
- « Je rencontre toujours les athlètes individuellement… Je mets en valeur les points forts de chacun et les encourage à identifier les forces des autres là où ils ont des faiblesses. »
- L’utilisation d’un langage inclusif : Il est crucial d’éviter des termes comme « garçons » ou « les gars » lorsqu’on s’adresse à des équipes mixtes.
2. Compétition significative basée sur le niveau de compétence
La création d’environnements compétitifs fondés sur les habiletés plutôt que sur le genre conduit à des expériences plus enrichissantes :
- En boccia, les divisions sont basées sur les habiletés motrices des athlètes, et non sur le genre.
- Les entraîneur·e·s en natation et en ski de fond organisent des « moments où les filles et les garçons sont séparés » tout en maintenant une majorité d’entraînements mixte.
- Certaines structures de clubs organisent les groupes selon l’approche du sport (technique ou ludique) plutôt qu’en fonction du genre.
L’importance de pouvoir choisir
Le rapport met l’accent sur l’importance de permettre aux filles et aux femmes de choisir leur environnement sportif :
« Un autre point clé que nous soulignons est l’importance de permettre aux filles et aux femmes de choisir entre un environnement mixte ou non mixte dans leur pratique quotidienne. Certaines préfèrent évoluer en non-mixité, d’autres en mixité, et certaines aiment avoir l’option de pouvoir pratiquer les deux. Forcer les filles et les femmes à évoluer en non-mixité, comme cela se produit fréquemment, peut entraîner des abandons. »
Pour que ce choix soit véritablement significatif, les options offertes doivent être équivalentes dans les deux configurations.
« Pour que cela soit vraiment un choix, les options en mixité et en non-mixité doivent être comparables : un nombre d’heures et des horaires d’entraînement similaires, un accès à des entraîneur·e·s de qualité et des compétitions significatives. »
Les auteur·rice·s reconnaissent que garantir de telles occasions égales n’est pas toujours possible en raison des contraintes liées au nombre de participants, aux ressources humaines ou à l’infrastructure. Cependant, iels considèrent cela comme « un objectif à atteindre et à mettre en œuvre lorsque les conditions le permettent.
Expériences mixtes vs non-mixtes
Le rapport souligne des différences entre les environnements mixtes et non mixtes, en particulier pour les personnes nouvellement arrivées dans une équipe.
« Nous constatons que le niveau de familiarité avec le sport joue un rôle essentiel dans un contexte mixte, tandis que dans les équipes et clubs féminins, les personnes plus expérimentées se montrent généralement plus accueillantes envers les nouvelles recrues. Ce phénomène est observé non seulement dans les sports traditionnellement féminins, comme le cheerleading et la natation artistique, mais dans toutes les disciplines. Les filles et les femmes novices sont mieux accueillies dans les groupes féminins que dans les groupes mixtes. »
Cette observation soulève des questions sur la façon dont les garçons et les hommes, nouveaux dans un sport, sont reçus dans les groupes exclusivement masculins.
Avantages de la pratique sportive en mixité
Une joueuse de water-polo a expliqué : « En water-polo, la mixité offre un véritable avantage. Les garçons privilégient la performance physique, la puissance et l’agressivité. Ils misent sur la force brute. Les filles, quant à elles, se distinguent par leur stratégie et leur sens tactique. »
Une athlète de parasport a témoigné : « La pratique en mixité permet de développer d’autres habiletés… Quand je joue au basketball contre un garçon plus physique, j’apprends à mieux me positionner pour encaisser les impacts. »
Un entraîneur d’ultimate a constaté : « Le fait que les filles jouent avec des garçons renforce leur confiance en elles. Quant aux garçons, évoluer dans des groupes mixtes leur apporte du calme et aide à tempérer leur ego.
Recommandations
Le rapport propose huit pistes d’action appuyées par les résultats de la recherche :
- Exiger une formation des entraîneur·e·s sur la socialisation de genre et la déconstruction des stéréotypes.
- Aborder ouvertement les questions de contact physique et de consentement.
- Lutter activement contre l’homophobie dans tous les environnements sportifs.
- Remettre en question les notions de « sports pour garçons » et de « sports pour filles ».
- Proposer des compétitions réellement adaptées au niveau de jeu, et non au genre.
- Offrir aux athlètes le choix entre évoluer en mixité ou en non-mixité.
- Intégrer des moments de mixité et de non-mixité distincts dans les programmes
- Constituer les groupes en fonction des besoins de développement plutôt que sur une séparation automatique par genre
Orientations futures de recherche
Les auteur·rice·s recommandent d’examiner les sports récréatifs pour adultes, où la mixité est courante, mais encadrée de manière informelle. Iels suggèrent également d’étudier des sports comme la ringuette et le softball, qui sont nés en réponse à l’exclusion des femmes du hockey et du baseball. Par ailleurs, iels soulignent l’importance d’approfondir la recherche sur les sports individuels, sous-représentés dans la présente étude.
De façon générale, les résultats invitent à dépasser les divisions binaires de genre pour promouvoir des systèmes centrés sur le développement des athlètes, leur bien-être et des expériences compétitives enrichissantes. Comme l’a mentionné une personne participante à propos des choix de sport mixte : « Lorsqu’on leur a demandé de décrire leur modèle idéal de développement de l’athlète, les réponses variaient au sein d’une même discipline. Pour certains, la mixité jusqu’à 14 ans devrait être la norme, alors que pour d’autres, elle ne devrait être introduite qu’à la fin de l’adolescence, après une période de non-mixité. »