Comment parvenir à un sport de qualité véritablement inclusif : un entretien avec Cherokee Washington

Par: Chrissy Colizza

Lorsqu’il est question d’offrir du véritable sport de qualité, Cherokee Washington, joueuse de volleyball au niveau collégial et éducatrice antiraciste, déclare qu’avant que nous puissions aller de l’avant, nous devons continuer à reconnaître nos erreurs liées à l’inclusion dans le sport.

L’un des problèmes les plus persistants au sein des systèmes de sport et d’activité physique canadiens est que les groupes et communautés dignes d’équité sont encore mal desservis et sous-financés. De nombreux programmes de sports et d’activités physiques ne se sont pas engagés de manière adéquate avec ces groupes afin de créer et d’offrir des expériences de qualité qui répondent à divers besoins.

Le sport c’est pour la vie travaille de pair avec des experts de contenu et de contexte pour rassembler toutes les composantes dont chaque organisme sportif a besoin afin de bâtir les avenues du développement à long terme de manière appropriée et significative pour toutes et tous. Ce mois-ci, Le sport c’est pour la vie s’est entretenu avec une jeune athlète universitaire et leader de communauté, Cherokee Washington, qui a consacré son parcours éducatif et sa vie personnelle à la décolonisation et au démantèlement des systèmes d’oppression à travers des ressources et des espaces interdisciplinaires, tout particulièrement dans le domaine du sport. Nous l’avons rencontrée pour discuter de ses expériences en tant que femme cisgenre racisée dans un sport traditionnel et de son point de vue sur ce qui est nécessaire afin de créer et de mettre en place des programmes de sport de qualité véritablement inclusifs.

Le sport c’est pour la vie : Parlez-nous brièvement de vous et de votre parcours, notamment dans le domaine du sport.

Washington : En ce qui concerne mon parcours athlétique, j’ai eu l’occasion de jouer au volleyball en tant que libéro et défense pour le Wingate College en Caroline du Nord et pour le Whitman College dans l’état de Washington lorsque je vivais aux États-Unis. Durant ma carrière athlétique, j’ai fait partie d’une équipe compétitive qui s’est rendue jusqu’aux quarts de finale au niveau national. Lors de ma dernière saison collégiale, j’ai remporté le titre de joueuse défensive de l’année et j’ai fait partie d’une autre équipe qui a gagné plusieurs distinctions académiques. Même si j’ai essayé presque tous les sports avant l’université et que j’ai particulièrement aimé l’athlétisme, au bout du compte, c’est le volleyball qui m’a totalement séduite. Maintenant, je joue au volleyball de plage chaque fois que je retourne visiter mes parents et j’espère un jour devenir joueuse professionnelle.

En tant que femme cisgenre racisée, j’ai consacré mon parcours éducatif et ma vie personnelle à la décolonisation et au démantèlement des systèmes d’oppression à travers des ressources et des espaces interdisciplinaires, tout particulièrement dans le domaine du sport. Mon identité est à la fois femme et noire, donc mes recherches dans mon domaine de spécialisation et mon expertise sont ancrées dans la politique identitaire, la compréhension du mouvement contre le racisme envers les noirs, l’éducation antiraciste et anticoloniale, la bonté radicale et la communication empreinte de compassion. Même si mon travail actuel et mes objectifs pour l’avenir sont consacrés au domaine des sciences du sport, je suis titulaire d’un baccalauréat en psychologie avec une mention en études de la rhétorique, deux domaines qui m’ont aidée à examiner la nature intersectionnelle du sport, de la politique et de l’identité.

J’en suis maintenant à ma deuxième année de maîtrise au laboratoire de recherche en psychologie du sport à l’université McGill. Mon mémoire, dont le titre est actuellement « Perspectives des joueurs de football noirs à propos des effets de la race sur la relation athlète-entraîneur dans les universités canadiennes », se concentre sur les manières dont les contextes sociohistoriques et les problèmes de racisme au sein du sport du football affectent l’harmonie entre les joueurs noirs et leurs entraîneurs blancs. Mon but est non seulement d’élever les voix des personnes marginalisées et de créer un espace pour eux dans la recherche sportive, mais aussi de mettre en évidence le besoin criant d’intégrer du travail de compétence culturelle dans la formation des entraîneurs. Je suis aussi membre étudiante du département de kinésiologie de McGill et des comités pour l’équité, la diversité, l’inclusion et l’accessibilité de la faculté de l’éducation. En tant que membre étudiante, j’ai pris part à des initiatives d’ÉDI (équité, diversité et inclusion) afin de mieux soutenir les étudiants sous-représentés et d’informer la communauté de McGill au sujet des problèmes liés à la politique de l’identité.

Pour ce qui est de ma vie personnelle, je viens de Los Angeles, une ville dont l’histoire est riche en manifestations, en activisme et en mouvements politiques. Avec tout mon bagage culturel, mes relations avec les communautés qui m’ont appris à apprendre de manière radicale et d’exercer ma pensée critique, mon rôle en tant qu’abolitionniste, mes expériences de vie et mes racines, je me considère très chanceuse de pouvoir m’engager dans ce type de travail.

Le sport c’est pour la vie : Parlez-nous de votre implication en tant qu’éducatrice antiraciste et expliquez-nous pourquoi les entraîneurs et les actionnaires d’organismes sportifs ont besoin d’être formés dans ce domaine.

Washington : Depuis aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours été impliquée dans le travail d’ÉDI et d’antiracisme étant donné que j’ai grandi durant l’ère de Black Lives Matter et d’autres mouvements sociaux. Bref, à l’école secondaire, j’ai assisté à une conférence antiraciste qui m’a fait découvrir un arsenal complet de stratégies pour combattre la discrimination dont j’avais besoin en tant que jeune personne racisée évoluant dans ce monde. C’est par l’entremise de cette conférence que j’ai découvert de nombreux concepts comme l’étude critique de la race, les « -ismes », pour ne nommer que ceux-ci. J’ai trouvé les réponses dont j’avais besoin pour réussir à donner un sens à mes expériences au sein d’établissements principalement blancs et d’autres espaces où je me trouvais.

L’acquisition de ces nouvelles connaissances m’a menée à étudier la rhétorique à l’université, où j’ai eu un aperçu de la politique de l’identité, faisant ainsi naître mon intérêt pour les thèmes liés à l’ÉDI. En dehors du cadre universitaire, je suis choyée d’être membre de communautés d’apprentissage radical, dont Noname’s Book Club et The Teach Out, deux groupes qui se consacrent à l’investigation critique et s’engagent à créer un monde de libération, et ce, d’un point de vue abolitionniste. Sans ces communautés, je ne serai pas devenue la chercheuse activiste que je suis aujourd’hui.

En plus de mon parcours académique, lors de la troisième année de ma carrière de volleyball, j’ai choisi de m’agenouiller avant chacun de nos matchs à domicile pour soutenir Colin Kapernick. Résultat : mon entraîneur-chef a adopté des comportements anti-noirs envers moi. Cet évènement en particulier m’a donné un choc qui m’a aidée à réellement comprendre comment mes identités d’athlète, d’activiste et de personne racisée étaient destinées à s’entrecroiser depuis toujours. Mon mémoire est une étude indirecte des manières dont mon propre entraîneur universitaire m’a traitée et de comment la race a causé de la discorde dans notre relation durant une période sociopolitique tumultueuse aux États-Unis. Bref, j’ai toujours su que je voulais utiliser mon expertise dans un cadre sportif et le destin m’a guidée vers l’université McGill d’une manière étrangement cathartique.

Ensuite, pourquoi les entraîneurs, les actionnaires et les éducateurs dans les domaines du sport ont-ils besoin de s’informer à propos de l’antiracisme? La réponse est simple : le temps est grandement venu. On demande habituellement des entraîneurs qu’ils suivent seulement une formation sur l’inconduite sexuelle, mais les formations sur les micro-agressions ne sont même pas considérées comme étant une partie essentielle de l’éducation d’un entraîneur, ou même d’un être humain. De nombreuses entités sportives commettent des micro-agressions envers des joueurs et s’en tirent sans punition; parfois elles ne se font que légèrement réprimander. Au bout du compte, les athlètes sont seuls devant les répercussions émotionnelles et psychologiques de ces actes. Dans le sport, nous ne prenons pas les comportements de micro-agressions aussi sérieusement que nous le devrions, donc l’éducation est nécessaire.

Dans le même ordre d’idée, la recherche sportive et la formation des entraîneurs ne répondent souvent qu’aux besoins du groupe dominant d’hommes blancs, sans limitations, cisgenres et hétérosexuels, alors que tout le reste des individus aux identités intersectionnelles non dominantes sont classés dans la catégorie « autres ». Autrement dit, en recherche, dans les ateliers et ailleurs, on ne s’intéresse qu’au bien-être des hommes blancs. On ne pense même pas aux autres groupes et à leurs besoins culturels spécifiques. Les entités sportives ne peuvent pas continuer d’ignorer ces vérités, particulièrement de nos jours. Il est important d’enseigner aux personnes de tous milieux comment les politiques de l’identité ont affecté leur domaine, et le sport ne fait pas exception. Dès sa conception, le sport a été racisé et genré afin d’en bloquer l’accès à certains groupes.

Que ce soit Bill Russell, Billie Jean King ou Naomi Osaka, le sport, la race, la politique et l’identité sont étroitement liés, et ce, même si certains intervenants refusent de le croire. Notamment aux États-Unis, de nombreuses personnes ignorent que certains organismes sportifs tels que la NBA ont vu le jour grâce au travail de joueurs noirs qui ont été historiquement exploités, malgré la démographie raciale actuelle de la ligue. Très peu d’entraîneurs le savent et certains choisissent d’ignorer les histoires vraiment pas mignonnes de nos organismes sportifs bien-aimés (la NFL est l’un des pires cas). Le temps est venu pour les entraîneurs et autres entités d’être honnêtes et de reconnaître les torts qu’ils ont causés aux athlètes qu’ils sont censés soutenir.

Le sport c’est pour la vie : Pourquoi est-il important de créer et de mettre en place des programmes sportifs inclusifs? Selon vous, à quoi un tel programme ressemblerait?

Washington : Nous croyons souvent que le sport est un espace inclusif, mais ce n’est malheureusement pas le cas. Suite à l’adoption de nouvelles lois anti-trans, aux changements politiques qui empêchent certains groupes de participer à des activités sportives, et face à bien d’autres barrières, il est primordial de s’assurer que les environnements sportifs soient inclusifs et que tout le monde puisse effectivement participer à des activités athlétiques. En implantant ces types de programmes, nous pouvons protéger, soutenir et accueillir toute personne qui choisit de pratiquer un sport, peu importe ses origines. Nos identités sont intersectionnelles et uniques; elles ne devraient pas être un prétexte à l’exclusion, bien au contraire.

Je ne suis pas encore certaine de la forme que ces programmes prendront. Je sais qu’ils doivent inclure de la formation sur les concepts fondamentaux, être interdisciplinaires, mettre activement en œuvre des stratégies et implanter des outils, et ceux qui les mettront en œuvre devront garder leurs cœurs et leurs esprits ouverts et être prêts à vivre de l’inconfort.

J’aspire à créer ce type de programmation dans un avenir rapproché.

Le sport c’est pour la vie : Quels sont les principaux objectifs de votre travail? Que souhaitez-vous accomplir?

Washington : Fondamentalement, je veux m’assurer que les athlètes issus de milieux marginalisés, en particulier les athlètes racisés, soient soutenus de manière adéquate. Aussi, j’espère braquer un énorme projecteur sur les injustices, les problèmes et la discrimination flagrante qui surviennent chaque jour dans le sport en offrant aux entraîneurs et aux autres entités les outils pour combattre et éviter ces phénomènes. Nous sommes au cœur d’une nouvelle mouture de l’ère des droits civiques et nous devons, en tant qu’individus, choisir comment nous souhaitons contribuer aux mouvements que nous observons aujourd’hui. Je souhaite combattre les systèmes oppressifs, coloniaux et désuets qui ne nous servent plus et, au final, décoloniser les pratiques actuelles utilisées au sein de la mission professorale sportive à travers l’éducation et autres stratégies.

En d’autres termes, je me demande souvent de quoi le sport aurait l’air dans un monde abolitionniste. À l’avenir, comment pouvons-nous créer une version du sport qui soit la plus inclusive, accueillante, accessible et diversifiée possible? Comment pouvons-nous aborder de manière critique les problèmes historiques toujours présents dans le sport aujourd’hui? Il est temps d’apprendre tous ensemble et de rendre le sport plus équitable en répondant à ce type de question.

Le sport c’est pour la vie : Quels changements devons-nous apporter afin de transformer les voies conventionnelles du développement sportif en voies sportives plus inclusives?

Washington : Il y a tellement de choses à changer au niveau structurel, politique et autres dans le développement sportif, que je ne pourrais tous les énumérer ici. Toutefois, je vais vous offrir une piste de réflexion : nous devons admettre que le problème de l’inclusion dans le sport a toujours été présent. Nous ne pouvons pas aller de l’avant et devenir plus inclusifs si nous refusons d’admettre que le problème existe. Il est temps de dire la vérité et d’admettre nos torts.

Ressources :

 

 

 

 

 

jusqu'à l'ouverture du Sommet Le sport c'est pour la vie 2025!

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